"Une volonté politique de nuire aux femmes algériennes" (L'Express)

Publié le par hassi-messaoud.over-blog.com

Depuis plus de deux mois, la ville algérienne d'Hassi Messaoud est le théâtre d'expéditions punitives ultra violentes, menées par des groupes d'hommes contre des femmes. Une situation que la ville avait déjà connue en 2001. La comédienne algérienne Nadia Kaci avait prêté sa plume à deux victimes pour témoigner. Aujourd'hui, elle nous explique le retour du phénomène.

 

Depuis quand les violences ont-elles repris, et sous quelle forme?

Ça a recommencé il y a un peu plus de deux mois et demi. Pratiquement toutes les nuits, des groupes d'hommes défoncent les portes, entrent et agressent les femmes à l'arme blanche. Ils les violent, les torturent et pillent leur maigre bien. C'est très comparable aux évènements de 2001, sauf qu'à l'époque, plus d'une centaine de femmes avait été agressée en trois nuits. Là, les violences sont les mêmes mais s'étendent dans la durée.

 

En 2001, un imam radical semblait, par ses prêches, être l'instigateur de ces expéditions. Est-il toujours en poste à Hassi Messaoud?

Les femmes qui ont témoigné récemment m'ont raconté qu'un imam avait chauffé à blanc les hommes dimanche ( 11 avril, ndlr) soir. Mais elles n'ont pas su me dire son nom.

 

Comment réagissent les autorités locales à cette nouvelle vague d'agression?

Dernièrement, la voisine d'une victime a appelé la police à deux reprises pendant une attaque. La première fois, ils lui ont dit d'aller se recoucher. La seconde, ils lui ont raccroché au nez. Après, ça ne répondait plus. On a vraiment l'impression de vivre dans une zone de non-droit. Certains disent que les policiers eux-mêmes ont peur des représailles s'ils interviennent. D'autant plus qu'il n'y a pas de suites judiciaires lorsque les suspects sont arrêtés.

 

Depuis 2001, le gouvernement n'a donc pas ouvert les yeux sur ce phénomène?

Bien au contraire, il a tout fait pour les maintenir bien fermés. D'ailleurs, les violences faites aux femmes ont explosé depuis 2001. Mais tout est fait pour les décourager de porter plainte. J'en suis à me dire qu'il existe une réelle volonté politique de nuire aux femmes.

 

Pourquoi ?

Selon moi, il y a deux facteurs. D'abord, le code de la famille de 1984 (lire l'encadré ci-contre), dans lequel on a expliqué aux hommes qu'ils avaient tous les droits sur leurs femmes. Ensuite, l'impunité réservée aux intégristes qui ont torturé et violé pendant les années noires du terrorisme. Aujourd'hui, on les appelle même des "repentis" (lire l'encadré ci-dessous), alors qu'ils ne sont jamais repentis de rien! Ça revient à expliquer aux hommes qu'ils peuvent se défouler sur leurs femmes en toute impunité. C'est un message fort envoyé à la société.

 

Comment a été perçu en Algérie votre livre Laissées pour mortes, écrit avec deux victimes ?

Il n'était pas vendu en Algérie. Mais le seul fait qu'il existe a été ressenti comme un immense espoir par toutes ces femmes. Les médias, quant à eux, ont applaudi l'initiative. Tout comme l'opinion publique, qui s'est mobilisée pendant quelques jours. Mais très rapidement, c'est retombé. En revanche, le ministère algérien de la solidarité nous a attaquées verbalement, et nous a traitées de menteuses.

 

Combien de femmes ont pour l'instant été victimes de cette nouvelle vague d'agressions?

C'est très difficile à dire car elles ont peur de témoigner, et, bien sûr, il n'existe pas de chiffres officiels. Les victimes doivent même se battre avec les policiers pour qu'ils acceptent d'enregistrer leurs plaintes ! Aujourd'hui, les violences ont peut-être déjà atteint la même ampleur qu'en 2001, peut-être l'ont-elles même dépassée.

 

 

Olivier Faure

L'Express, 14 avril 2010.


 

Que dit le Code de la famille de 1984 ?
 
l s'agit d'un texte d'inspiration très intégriste incluant des éléments de la charia. Il réduit la femme algérienne à un statut de quasi mineure, notamment en matière de mariage, de divorce ou de succession. Il a été adopté par l'Assemblée populaire nationale en 1984, sous le règne du parti unique, le FLN. Il a été amendé dans un sens plus libéral en 2005.
 

Repentis
Les repentis, en Algérie, sont les anciens maquisards islamistes des années de sang (1992/1999), rentrés chez eux après l'entrée en vigueur de la Charte de réconciliation nationale. Une charte qui offre l'impunité à ces anciens adversaires de l'Etat, passe l'éponge sur leurs crimes, et leur propose de retrouver une place normale au sein de la société.

Publié dans Articles 2010

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