Affaire des femmes de Hassi Messaoud : Laissées pour mortes, une pièce à conviction d’un crime impuni (El Watan)

Publié le par hassi-messaoud.over-blog.com

Un livre témoignage vient immortaliser les souffrances des femmes victimes de violences à Hassi Messaoud.

 

Presque neuf ans après le drame, la comédienne et militante féministe, Nadia Kaci, vient d’immortaliser les souffrances des femmes victimes de violences à Hassi Messaoud, à travers un livre témoignage sorti en France, il y a quelques jours. Intitulé Laissées pour mortes, le lynchage des femmes de Hassi Messaoud, l’ouvrage, édité par la maison Max Millo, reconstitue les faits de cette tragédie avec en filigrane les récits de deux victimes, Fatiha Maâmoura et Rahmouna Salah, les seules sur une quarantaine, qui continuent à se battre pour un droit à une justice. L’auteur fait revenir le lecteur sur les lieux du crime, le bidonville d’Al Haïcha, (la bête), un quartier qui porte bien son nom, situé à Hassi Messaoud, la plus riche des villes algériennes, où beaucoup de femmes ont immigré à la recherche d’un travail.

 

Cette nuit du 12 au 13 juillet 2001, une bande de jeunes a pris d’assaut les maisons d’une centaine de travailleuses vivant seules. Pendant de longues heures, elles vivent l’horreur. Sous les cris d’ « Allah Akbar » (Dieu est grand) elles subissent les pires violences. Torturées, lacérées, violées, enterrées vivantes et humiliées devant les leurs, les victimes reviennent d’un long cauchemar lorsque les policiers ont daigné intervenir au lever du jour. L’expédition punitive n’est que la conséquence d’un prêche de l’imam du quartier, accusant les femmes vivant seules « de prostituées » qui « souillent l’honneur de la cité ». Des dizaines de femmes sont évacuées dans un état critique vers l’hôpital de la ville, où là encore, les assaillants ont tenté d’achever leur sale besogne, blessant plusieurs d’entre elles, déjà lourdement affectées psychologiquement.

 

Laissées pour mortes c’est aussi l’histoire d’une grave dérive sanctionnée avec clémence. En effet, en 2004, le procès de quelques auteurs de cette attaque sauvage s’est terminé en queue de poisson. Après avoir fait pression sur les victimes pour qu’elles se désistent de leurs plaintes, les familles des auteurs sont nombreuses à assister au procès. Sur la quarantaine d’auteurs identifiés, seuls trois sont à la barre. Ils sont condamnés à des peines de 8, 6 et 3 ans à l’issue d’une audition de plusieurs heures. Une vingtaine de condamnations de 20 ans de réclusion, 4 de 10 ans et une de 5 ans, ont été prononcées par contumace. Le livre de Nadia Kaci fait part de témoignages poignants sur les violences subies en cette nuit du 12 juillet 2001.

 

Rahmouna : « Ils m’ont lacéré les cuisses et le ventre. Tout mon être et tous mes membres étaient en sang. Ils étaient plusieurs sur moi. » Fatiha intervient : « L’un d’eux, un monstre, m’a jetée sur son épaule comme une bête d’abattoir et traînée jusqu’au cimetière proche pour me violer, en menaçant de m’égorger avec un morceau de ferraille. » « Ce soir-là, écrit Nadia Kaci, l’une et l’autre sont laissées pour mortes. » Depuis lors, beaucoup de survivantes vivent dans le silence et la honte. Elles craignent les représailles et restent victimes de l’opprobre social. Rahmouna et Fatiha auraient pu retourner à l’existence à laquelle elles semblent destinées – celle typique des filles de condition modeste, privées d’enfance, sorties de l’école avant l’âge, jetées dans l’univers violent des mères répudiées et rendues coupables de mariages ratés. Il en sera autrement.

 

Rahmouna et Fatiha refusent de baisser les bras. Dans la douleur, bravant le mépris et l’ignorance, elles font le tour des tribunaux de Hassi Messaoud et racontent leur calvaire afin de confondre les auteurs du crime et leurs complices. Pour rappeler à la bonne société, aussi, qu’elles ne sont « ni des prostituées ni des femelles dépravées ». Le livre vient, encore une fois, rappeler que les femmes de Hassi Messaoud n’ont toujours pas eu gain de cause, puisque à ce jour, le pourvoi en cassation introduit auprès de la Cour suprême pour revoir le procès des auteurs est à ce jour pendant. Fatiha et Rahmouna, qui poursuivent seules leur combat d’une manière héroïque pour un droit à une justice, ne sont en fait que l’illustration d’une situation dramatique. Celle des violences que subissent quotidiennement les femmes en Algérie. Laissées pour mortes est une autre pièce à conviction d’un grave crime commis contre une centaine de femmes et honteusement resté impuni….

 

Salima Tlemçani

El Watan, 17 février 2010

Publié dans Articles 2010

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